Cancers et métaux lourds : une fois la mine fermée, la vie empoisonnée

Sarah Lefèvre et Édouard Richard (Reporterre) 10 janvier 2022

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Dans les Cévennes, au pied de mines à l’arrêt depuis cinquante ans, des déchets chargés en métaux lourds polluent sols et rivières et intoxiquent les habitants. Voici l’histoire de leur combat et celle d’un État qui ne les entend pas.

Saint-Félix-de-Pallières (Gard)

Jaurès, labrador colossal aux yeux doux, pose sa tête sur nos genoux. En bout de table, Michel sourit : il se souvient de leur arrivée avec sa femme, route de Saint-Félix, il y a quarante ans : « On a trouvé cette maison, un endroit magnifique, à l’abri du mistral et en plein soleil, dans la nature comme on aimait. » Il a passé vacances et weekends à retaper cette ruine à flanc de colline. Après des années de bons et loyaux services pour la CGT et la mairie d’Alès, à trente minutes de là, Michel Bourgeat pensait enfin pouvoir se reposer et cultiver son jardin.

La vie a suivi son cours jusqu’en 2012, date à laquelle les habitants de Saint-Félix-de-Pallières, de Tornac et de Thoiras ont appris des pouvoirs publics qu’ils vivaient dans une zone polluée. « Des gens d’une société sont venus faire des prélèvements. On leur a demandé pourquoi, mais ils ne pouvaient pas nous le dire, raconte Michel. Un an après, on a reçu une lettre de l’ARS [l’Agence régionale de santé] qui disait que j’habitais dans un endroit très fortement pollué et qu’il fallait que je me coupe les ongles à ras, que je nettoie les appuis de fenêtres, que j’enlève les moquettes au sol, que mes animaux ne devaient pas rentrer dans la maison… » Michel poursuit l’énumération, il connaît la liste par cœur. « Conseils sanitaires destinés aux personnes vivant sur ou à proximité de sols fortement concentrés en métaux et métalloïdes » : c’est le titre du courrier officiel de l’ARS Languedoc-Roussillon reçue par Michel et ses voisins. « Toutes ces recommandations visent à limiter votre exposition aux polluants présents dans les poussières des sols. » Cette phrase, en gras, conclut la liste en seize points.

Dix ans plus tard, et alors que la mine de zinc et de plomb a beau avoir été fermée en 1971, ces polluants sont toujours là. Arsenic, plomb, zinc, cadmium, antimoine, cuivre hantent sols et eaux. Le petit village et ses alentours symbolisent les ratés de l’État dans la gestion de l’après-mine. Les années ont passéé et face à cette incurie et au scandale sanitaire, les médias ont déserté les lieux tandis que la lutte s’essoufflait. Une poignée de retraités, de saisonniers ou de personnes vivant en camion, accompagnée de quelques experts, se battent encore.

Michel savait-il qu’il vivait dans une zone polluée avant de recevoir cette lettre ? Il remonte le cours du temps pendant que Jaurès poursuit son tour de table à la recherche de caresses : « Ces événements n’arrivent pas d’un coup. Ça a commencé avec une ânesse morte. On a fait venir le vétérinaire. Il a diagnostiqué une leucémie ou une très forte anémie. Ensuite, j’avais des poules qui grattaient dehors et paf, un matin, j’en trouve une morte. D’habitude, on le voit, une poule qui va mourir mais là, en une nuit, elle est morte ! » Puis ses chiennes ont eu des cancers des mamelles, son chien, des testicules. Michel a le souffle court. « Ça vient tout doucement, on ne fait pas obligatoirement le lien. Je ne dis pas que c’est ça, je ne peux pas le prouver. Je fais un constat. »

À 85 ans, après un cancer de la prostate, Michel vient de se faire opérer d’un deuxième cancer de la peau. « Il semblerait que j’en ai encore un autre qui se pointe ailleurs », ajoute-t-il. Il vit seul avec Jaurès. Sa femme est morte. Elle a enchainé avant lui cancer du sein et mélanome. « Mon voisin de là-haut, les autres d’ici… c’est pareil. Dans toutes les familles, il y a des cancers. » Parmi les papiers qu’il nous a préparés sur la table, la réponse tant attendue du tribunal de Marseille, reçue à l’été 2020. Vingt-sept familles de la région, l’Association pour la dépollution des anciennes mines de la vieille montagne (ADAMVM) et Générations futures avaient porté plainte en 2016 auprès du pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Marseille pour « mise en danger de la vie d’autrui, atteinte involontaire à l’intégrité physique, tromperie sur la marchandise entraînant un danger pour la santé de l’homme ou de l’animal » [1]. Une plainte classée sans suite, car, selon ce courrier, « il n’a pu être établi un lien de causalité direct entre les anciennes activités extractives des sites de Saint-Félix […] et la pollution des sols et l’état de santé des populations ».

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