La Creuse est-elle riche de sa géothermie ?

le 16/01/2022 – La Montagne

Le sous-sol de Creuse pourrait abriter une abondante activité géothermique, à plusieurs kilomètres de profondeur. Une énergie potentiellement inépuisable que certains aimeraient pouvoir exploiter, en particulier pour produire de l’électricité. 

C’est notamment le cas des sociétés TLS Geothermics et Storengy, qui scrutent le sous-sol de l’est creusois depuis plusieurs années, dans le cadre d’un permis de recherche accordé par l’État. Permis pour lequel elles viennent d’effectuer une demande de renouvellement pour cinq ans. Cette perspective inquiète certains habitants qui redoutent des impacts sismiques et des pollutions environnementales.

L’enfer est tapi sous le tranquille et verdoyant plancher des vaches creusois. À environ dix kilomètres de profondeurs, circulent dans des failles granitiques, des eaux dont la température avoisinerait les 350°. Une chaleur extrême et dantesque. Mais qui pourrait être, pour certains, une incroyable source d’énergie.

C’est notamment l’avis de Franck Noury. Celui qui se présente comme un « propriétaire bailleur sur la ville de la Souterraine » a interpellé la Préfecture de la Creuse, par mail, en octobre dernier, dans le cadre de la consultation publique liée au Schéma départemental des énergies renouvelables (*).

Une énergie renouvelable et non-intermittente

« Le sous-sol creusois « possède de nombreuses fractures naturelles à 4 km de profondeur en moyenne. Ces immenses fractures sont remplies de liquide à 180 degrés (sorte de saumure riche en minéraux dont du Lithium en grande quantité) », assure Franck Noury. L’homme suggère que cette énergie dite “géothermique” puisse être captée afin de « produire une électricité en continu (par opposition à l’éolien et au solaire, NDLR). Avec une faible emprise au sol (1 hectare). ». Par ailleurs, pour ce citoyen averti, l’eau pompée « permettrait la production d’eau chaude pour une ville comme la Souterraine ». Mais aussi des « serres maraîchères » voir un « parc aquatique ».

Dans sa réponse adressée à Franck Noury, la Direction Départementale des Territoires de la Creuse indique notamment que la « géothermie de grande profondeur » (qui concerne une ressource énergétique située à plus de 1.000 m de profondeur, cf. article page 3) « nécessite des investissements conséquents (surtout pour des forages à grande profondeur en milieu granitique), une technicité forte et des procédures lourdes », notamment un permis de recherche au titre du code minier.

Tout en soulignant que « la société TLS Geothermics dispose actuellement d’un tel permis de recherches dans l’Est Creusois ». Pouvoir jouir un jour d’une énergie “éternelle” en exploitant la chaleur du sol ne serait donc pas un fantasme, mais une éventualité sérieusement envisagée par une entreprise.

Production d’électricité

Mais qui est TLS Geothermics ? Et quelle est sa démarche ? Selon son président fondateur, Mathieu Auxiètre, cette société basée à Toulouse a été créée en 2012 dans l’objectif de « trouver des gisements d’eau chaude ». Et ce, notamment dans le Massif central. Ainsi, TLS a obtenu en 2017 un premier Permis exclusif de recherche (PER) dit permis de “Combrailles en Marche”, sur une zone géographique s’étendant sur l’est de la Creuse, une frange ouest de l’Allier et une partie du Puy-de-Dôme.

« Les géothermomètres chimiques des sources thermales d’Évaux-les-Bains atteignent notamment des températures situées entre 150 et 200° entre 3 et 5 kilomètres de profondeur. Nous faisons l’hypothèse que, plus bas, l’eau est encore plus chaude »

Mathieu Bellanger (ingénieur géologue chez TLS)


« Nous visons les grandes zones de faille qui permettent à cette eau de circuler. Nous avons espoir de pouvoir démontrer que ces circulations existent », continue le spécialiste. 

TLS indique notamment avoir mesuré des variations des champs électriques et magnétiques naturels probablement liées à la présence d’eau « dans les cinq premiers kilomètres du sous-sol », précise Mathieu Bellanger. « Au-delà de ces cinq premiers kilomètres, cela devient plus difficile à apprécier ». D’où l’intérêt pour TLS de pouvoir peut-être un jour réaliser un forage. Cependant, comme l’indique Mathieu Auxiètre, « Le choix de faire un forage d’exploration en géothermie profonde est une décision longue à prendre. Il y a bien sûr une enquête publique en amont. Et cela revient à plusieurs millions d’euros ». Dans une volonté d’optimiser ce coût, TLS prévoit que ses éventuels puits d’exploration deviennent par la suite des puits « producteurs ». Les géologues n’ont donc pas le droit à l’erreur.

De plus, le PER “Combrailles-en-Marche” avait une première période de validité de trois ans. TLS a ainsi formulé en 2020 une demande de prolongation auprès des services de l’État. Demande effectuée en association avec Storengy, filiale du groupe Engie engagée dans la recherche et l’exploitation de gisements géothermiques. Le périmètre du nouveau PER convoité par le tandem concernerait désormais 28 communes du nord-ouest creusois et neuf situées dans l’Allier. Un espace plus restreint, désormais localisé autour d’une portion de la faille géologique de la Marche, entre Huriel (dans l’Allier) et Boussac.

« L’État demande de réduire notre périmètre d’exploration. Nous avons choisi de nous concentrer particulièrement sur une zone allant d’Evaux à Lussat »

Mathieu Auxiètre

Plusieurs cibles sont dans le viseur de l’attelage TLS/Storengy. D’abord la possibilité d’utiliser l’eau chaude du sous-sol pour produire de l’électricité. De l’eau circulant en circuit fermé pourrait permettre de faire tourner des turbines. « Nous pensons qu’il est possible de développer des petites centrales de 5 à 6 Mégawatts, sur ce type de contexte géothermique. Ce qui permettait d’alimenter environ 20 000 habitants », avance Mathieu Auxiètre.

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Mais TLS émet aussi l’hypothèse que le fluide circulant à grande profondeur contiendrait également des éléments comme du lithium, métaux entrant dans la composition de batteries, ou de la silice, minéral permettant notamment de fabriquer des panneaux photovoltaïques. Autant de matières aujourd’hui stratégiques qui, pour Mathieu Auxiètre, pourraient être extraites de manière “propre” : « il est possible de récupérer ces éléments avec des filtres et donc avec impacts environnementaux bien moindres qu’une mine classique ».

Le sous-sol d’Evaux-les-Bains serait concerné par une importante activité géothermique profonde. En témoignent ses sources chaudes exploitées par les thermes depuis des millénaires. La commune fait partie du secteur exploré par les entreprises TLS Geothermics et Storengy. Archives Floris Bressy avec le concours de l’aéroclub de la Creuse.

Le spectre de la fracturation hydraulique

Pourtant, certains Creusois sont inquiets des répercussions que pourrait avoir une telle exploitation du sous-sol local. Ainsi, le collectif Stop Mine 23 alerte depuis plusieurs années contre les dangers potentiels de ce type d’initiatives. Perrine Garreau, membre du collectif, évoque dans un mail un « projet d’énergie verte qui ne l’est pas ». Et dénonce le recours à une « méthode expérimentale de forage très profond, jusqu’à 5 km de profondeur ! D’où des risques de séismes ». Une crainte légitime, alors que des tests effectués dans le cadre d’un projet de géothermie profonde ont provoqué une série de séismes en Alsace, dans la région de Strasbourg courant 2020.

Perrine Garreau fait par ailleurs référence à « l’utilisation de la fracturation hydraulique donc le risque de contamination des nappes phréatiques, un investissement financier totalement démesuré par rapport à la production d’énergie produite annoncée, d’où nos soupçons d’exploitation du lithium qui nécessite des produits chimiques… ».

La fracturation hydraulique, méthode consistant à fracturer des roches en injectant un mélange d’eau et de produits chimique à forte pression, dans les sols, est particulièrement controversée. Notamment utilisée dans le cadre de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis, cette technique est impliquée dans des tremblements de terre et des pollutions des eaux et des sols. De son côté, Mathieu Auxiètre se veut rassurant :

« Personne en géothermie profonde n’a recours à la fracturation hydraulique »

En précisant que s’il y a forage en Creuse, celui-ci sera effectué par l’intermédiaire d’une méthode classique reposant sur l’abrasion de la roche. La Préfecture de l’Allier qui coordonne l’instruction de la demande du PER de TLS/Storengy rappelle quant à elle que « la fracturation hydraulique a été interdite en France en 2011 pour l’exploitation des gisements d’hydrocarbures. » Tout en insistant sur le fait que cette technique « a de très fortes conséquences environnementales et ne serait pas acceptée par l’administration pour l’exploitation de gîtes géothermiques, dans la mesure où il existe d’autres méthodes plus appropriées à l’exploitation des gîtes géothermiques, et moins impactant ».

Concernant les risques sismiques, Mathieu Bellanger affirme que les « aléas sismiques sont limités » dans le secteur exploré, car les roches y sont « globalement dures ». Tout en affirmant que TLS prend ce sujet très au sérieux :

« Nous allons faire des tests permettant de mesurer la capacité de la roche à être perméable. Et ainsi pouvoir écarter les risques de microséismes ressentis. Cette question est cruciale pour nous. Nous devons la maîtriser afin d’éviter que les gens ressentent la même chose qu’à Strasbourg ».

Matthieu Bellanger


S’il est prolongé, ce permis d’exploration de géothermie permettra à TLS Geothermics et à Storengy de poursuivre les recherches jusqu’à 2025. Avec, d’ici là, une faible probabilité qu’un forage soit réalisé. Pour l’heure, pas de quoi faire trembler la terre creusoise, donc. 

(*) Document proposant un état des lieux et différents scénarii de développement des énergies renouvelables, pour la Creuse. Élaboré sous la coordination des services de l’État, le Schéma départemental des énergies renouvelables de la Creuse a fait l’objet d’une consultation publique, à l’automne 2021.

François Delotte

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